Biniou et beurre salé

// Août 2023 //

C’est bien connu : en Bretagne, il ne pleut que sur les cons. C’est donc hyper sereins que nous partons pour une semaine de découverte de la côte de granit rose en ce beau mois d’août.

Ah.

Encore sur l’autoroute, on commence déjà à prendre de sacrés embruns.

Il y a peut-être comme un message.

Forêt de Brocéliande

Après avoir traversé quelques villages aux habitations de schiste pourpre et aux champs de maïs et de blé, nous arrivons aux portes de la forêt de Brocéliande. Nous avions prévu d’y faire une longue balade mais notre tentative tourne court : nous sommes trempés en quelques minutes et la visibilité est vraiment mauvaise à travers ce rideau de pluie !

Nous nous rabattons donc sur le château de Comper qui abrite le centre de l’imaginaire arthurien : la scénographie est un peu cheap pour les 9€ que coûte l’entrée, mais au moins nous sommes à l’abri et la librairie est bien fournie.

Après une nuit aux Bouyères, charmante maison d’hôtes où Carlos le mulet, Songe le shetland et Câlinou le chat sont en mode open bar sur les grattouilles, nouvelle tentative : nous reprenons la direction de Beignon pour prendre le départ de la balade de Lancelot.

Elle démarre dans le jardin des Affolettes. Surplombant le rocher glissant sous lequel se seraient abrités Lancelot et Guenièvre lors de leur fuite, le jardin et son chalet ont été entièrement construits par le dénommé Fernand Jaillet, un particulier tombé en amour du lieu. Il passera trente ans à aménager et modeler son coin de paradis à la pelle, à la pioche et à la dynamite, fabriquant sa propre électricité grâce à l’eau de l’Aff qui coule en contrebas. Réfugié dans sa cabane jusqu’en 1970, cette presque ascèse lui vaudra son surnom d’Ermite.

À cet endroit, la forêt offre exactement l’image attendue de la forêt bretonne : des fougères, des chênes, des pins au pied desquels on s’attend à tout moment à apercevoir les korrigans, les poulpiquets ou les teuz qui forment le petit peuple de Bretagne. Et la rivière qui serpente, son lit à sec par endroits, propice au land art : nous construisons un joli petit tumulus défiant les lois de la gravité (enfin bon, les mecs passés avant nous étaient carrément plus chauds, y’a du niveau).

Ce sont les 66 kilomètres de l’Aff qui matérialisent la limite entre le Morbihan et l’Ille-et-Vilaine ; dans ce secteur, la rive gauche est mitoyenne avec les terres des Écoles Militaires de Saint-Cyr Coëtquidan. Il n’est donc a priori pas rare d’entendre les tirs des militaires sur leur terrain d’exercice (ils ont d’ailleurs droit aux traditionnels 10 % de perte, soient quatorze touristes mensuels en période estivale) (c’est faux).

La forêt de Brocéliande est vraiment très belle, baignée d’une légère brume et d’une lumière dorée particulière. En revanche, nous avons été très déçus de ne pas y trouver de fée. Pas faute d’avoir regardé sous chaque chapeau de champignon, cercle de fougères et souche creusée.

Cap Fréhel

En fin d’après-midi, nous nous dirigeons vers le Cap Fréhel. Ce n’est pas le plan initial, mais de très importantes rafales de vent étant annoncées pour le lendemain, nous préférons profiter de cette promenade sur les falaises hors tempête.

Le paysage est à couper le souffle – le vent qui se lève déjà a aussi sa part dans cette sensation – et les couleurs sont magnifiques. Le gris du ciel et de la mer sont relevés par le violet et le jaune incroyables des bruyères et des ajoncs qui forment comme un tableau impressionniste.

Saint Malo

Nous quittons le Cap Fréhel direction Saint Malo. Nous arrivons sous la pluie pour découvrir notre hôtel, situé en pleine zone industrielle et offrant une vue imprenable sur Carglass et le Centre de contrôle technique malouin. Ahem. Trouver un hôtel abordable en plein mois d’août à Saint Malo à J–15 s’est avéré un exercice difficile, nous avons pris ce qui restait.

Toujours sous la pluie, nous optons pour un Saint Malo by night en voiture. Après la plage des Fours à chaux pour aller toucher la mer du bout des doigts (sans surprise, elle est : très froide), nous parcourons les beaux quartiers parsemés de maisons vraiment très, très cossues en pierre sombre et pierre de taille blanche. Y’a d’la maille à Saint Mal’.

Le lendemain matin, nous profitons de quelques rayons de soleil pour arpenter la promenade du Sillon et la grand plage. Les rafales de vent sont de plus en plus fortes : la tempête en cours outre Manche se rapproche et le risque de vagues-submersion est annoncé pour le soir . En effet, les hôtels qui bordent la plage installent des protections en bois devant leurs vitres du rez-de-chaussée.

En début d’après-midi alors que le zef s’intensifie, nous visitons Saint-Malo intra muros, la vieille ville à l’intérieur des remparts. Après une halte kouign amann (suivez mon regard), nous visitons la cathédrale abritant les tombes du navigateur Jacques Cartier et du corsaire Duguay-Trouin. Intéressant, la luminosité est très différente dans le choeur, très bleutée quand le reste de la nef est assez sombre (bon, la météo n’aide pas).

Les rues du centre ne nous laissent pas un souvenir incomparable, on n’y trouve que des boutiques de bidules à touristes ou de grandes enseignes d’artères commerciales. En revanche, les remparts eux-mêmes offrent une vue magnifique sur la vieille ville d’un côté et sur la mer de l’autre. Le tour des remparts coïncide avec le climax de la tempête, ce qui donne de magnifiques photos de vacances dans le plus pur style Quechua, capuche serrée au max autour du visage. La vue sur les maisons d’armateurs, toutes en symétrie, offre un terrain de jeu inépuisable à Jo pour ses photos. Idem pour la piscine Bon Secours, bassin naturel recouvert par les marées.

Nous faisons un saut jusqu’à Cancale pour déguster quelques huîtres et un verre de blanc face à la mer, avant de revenir passer la soirée à Saint Malo.

Pour rejoindre la crêperie dans laquelle nous avons réservé, nous empruntons les rues parallèles à la grand plage. Les grandes marées consécutives à la tempête Patricia sont bien là. La plage est loin, très loin sous le niveau de l’eau et les vagues passent haut au-dessus du parapet et les rues attenantes ruissellent d’eau de mer charriant algues et bois flotté.

Instant Darwin awards

L’occasion de comprendre pourquoi l’humanité est en voie d’extinction : malgré l’accès interdit à la zone, une foule se presse pour se faire rincer par les immenses gerbes d’eau qui retombent. Pas suffisantes pour se faire emporter, mais bien assez pour faire un strike parmi les enfants et les personnes âgées présentes. Bref.

Une galette (ok, deux) sur les remparts au Corps de Garde nous requinquent sans problème. La vie est toujours plus belle après du beurre salé et du muscadet.

Le lendemain matin, nous quittons Saint Malo sous la pluie (INCROYABLE) et avec le chauffage dans la voiture, cap sur Paimpol ! Après une petite balade sur le port et dans la jolie vieille ville, direction L’Arcouest où se trouve l’embarcadère des Vedettes de Bréhat.

Île de Bréhat

Pour relier l’île de Bréhat, le trajet dure à peine 10 minutes et coûte 11,50€/personne l’aller retour, avec le choix des horaires dans les deux sens. Il fait enfin beau et malgré le vent toujours présent, aucune houle n’est à signaler : la Manche est finalement plus tranquille que la Méditerranée !

À l’arrivée sur Bréhat, nous cheminons à côté d’une famille. Conversation entre les deux parents venus chercher leur fils Blaise et sa petite copine Iman, qui découvre l’île :

– « On vous a préparé la petite maison, c’est là que vous serez le mieux. Papa avait passé l’aspirateur, il m’a dit que c’était nickel mais je suis repassée après, il avait laissé des toiles d’araignées ! Ooooh, Iman, vous avez peur des araignées ?

– Euh non, ça va.

– Ah tant mieux, parce qu’il y en a !

– L’autre jour, Blaise, j’ai entendu ta mère crier, j’ai cru que quelqu’un essayait de l’assassiner. Hé ben non, quand je suis arrivé, c’était une toute petite araignée, hâ hâ hâ (on rigole chic à Bréhat) »

On le perçoit assez rapidement à l’arrivée, l’île est un endroit hors du temps, hors du monde, hyper préservé. Tu connais beaucoup d’autres endroits en métropole où trouver un petit marché bio en libre service, chacun prend ce qu’il veut et dépose son paiement dans une caisse ouverte ?

L’île est ceinte d’un sentier de 9,5 kilomètres, des agapanthes géantes poussent partout, dans les jardins et dans les massifs communaux. Des vaches placides regardent passer les touristes à pied ou à vélo – électrique, le vélo local : ça monte sec par endroits – ou les locaux en tracteur à fond les ballons ! C’est si calme qu’on a même vu un lapereau grignoter dans un buisson, et c’est beau… notamment depuis le phare du Paon, depuis le pied duquel on peut passer des heures à observer les vagues s’écraser sur le granit rose qui entoure l’île. Enfin, pas littéralement des heures, parce que Jo me presse : il veut absolument aller boire une petite bibine brassée sur l’île. Va donc pour une Indomptable en terrasse.

À l’embarcadère, au moment du retour sur le continent, plusieurs îliens partent avec une petite chariotte qui leur servira à remonter les courses. A Bréhat, il n’y a que des tout petits commerces de dépannage, tu sais, ceux dans lesquels une plaque de beurre, un sachet de râpé et une barquette de tomates cerises occasionnent un panier à 28€.

Une fois revenus à terre, après un dîner à Charlotte O crêpes (au nom bidon mais aux galettes garnies de super bons produits locaux et frais), nous faisons la route jusqu’à notre hôtel suivant, à Lannion.

Il est encore pire que le précédent.

Lannion / Perros Guirec

Wouhouuuh, une nouvelle journée ensoleillée !

En route pour une rando sur une petite portion du GR 34, aka le sentier des douaniers : plus de 2000 kilomètres de sentier côtier reliant la baie du Mont Saint Michel à Saint Nazaire. Nous partons de la plage du Trestraou à Perros Guirec, longée par une bordure de très jolies petites cabines colorées pour se changer sans faire la danse de la serviette dans le vent (tu demanderas à Jo, il est spécialiste). Dès les premières minutes, nous déchantons un peu : le chemin est presque carrossable, c’est moins wild que prévu. Nos chaussures de rando sont quelque peu superflues, compte tenu du nombre de gens en tenue de ville ou qui pilotent une poussette !

Il y a du monde mais cela ne gâche pas le paysage de granit rose, magnifique. Bon, faut juste ne pas être trop pressé pour prendre une photo dans les plus beaux spots : il y a la queue pour faire un selfie à haute valeur instagrammable.

Sur le sentier, près du phare de Ploumanac’h, nous dépassons les rails de mise à l’eau de la SNCM ainsi qu’un petit bâtiment – un garage à bateau et non une chapelle comme nous l’avons cru – surmonté de gargouilles et dont les murs sont criblés d’impacts de balles datant de la Seconde guerre mondiale.

Tout au long du sentier, d’énormes blocs de granit sont praticables et permettent d’aller observer la mer en contrebas. Excellente opportunité également de vérifier l’instinct grégaire de l’homme : s’il y a un tas de cailloux, il grimpe dessus.

Après avoir traversé un bout de parc peuplé d’eucalyptus, la balade se termine sur la plage de Saint Guirec.

L’après-midi, changement d’ambiance : nous allons visiter la distillerie d’où sort le whisky breton Armorik. Notre guide est hyper intéressante et nous donne tout plein d’explications sur le processus de distillation.

Mais dis-moi Jamy, comment ça fonctionne, la distillation ?

Ici, comme en Écosse, c’est la double distillation qui est pratiquée. La première réduit le volume initial de 6000 litres d’eau à 2500 litres en sortie, et permet d’obtenir un distillat à 30° d’alcool. La seconde donne un distillat à 73° et il ne reste plus que 600 litres.

On ne conserve que le cœur de chauffe, c’est-à-dire qu’on élimine ce qui sort en premier et ce qui sort en dernier de l’alambic. Le whisky obtenu à ce stade contient trop d’alcool pour les fûts, ça les rongerait : on l’allonge d’eau de source en cuve et on ne le met en fût que lorsqu’il est redescendu à 63°.

Selon les notes recherchées pour ses différentes gammes, la distillerie Warenghem en utilise principalement trois types : des fûts qui ont contenu du bourbon, des fûts qui ont contenu du sherry, ou des fûts tout neufs et faits de chêne breton.

Chaque fût sert quatre fois ; après la quatrième, il est dit « épuisé », c’est-à-dire que toutes les notes contenues dans son bois ont été transférées et qu’il est désormais imbibé de whisky. Il est alors revendu à d’autres types de distilleries qui recherchent des notes de whisky, comme des rhumeries par exemple. C’est un cercle vertueux.

Dans la même lignée, les déchets de céréales issus du brassage sont donnés aux agriculteurs locaux pour le nourrissage des vaches. À ce stade, il n’y a pas eu de fermentation donc pas d’alcool, aucun risque de retrouver les vaches bretonnes torpillées.

Nous prenons ensuite la route de Morlaix sur laquelle nous récupérons un jeune auto-stoppeur tout en panique après avoir perdu ses papiers et son téléphone. On espère que tu as tout retrouvé, Thibaut !

De Morlaix, nous ne verrons que notre hôtel (on va crescendo dans la déconfiture en découvrant chaque nouvelle chambre) et le Kiosk, une très bonne crêperie du centre-ville dont la serveuse a vraiment les traits d’un petit elfe, ça ne peut être qu’un gage d’authenticité pour une crêperie bretonne.

En repartant, nous sommes alpagués par un groupe d’ados qui occupent leur soirée en tentant de déclencher un panneau détecteur de vitesse en courant le long de la rue, déserte à cette heure-ci. « Hé Monsieur, monsieur (c’est Jo, « monsieur »), allez faites-le monsieur, comment vous vous appelez, allez Johan, allez Johan, alleeeeeeez ! »

(Spoiler : il court vite, Jo)

Saint Pol de Léon / Roscoff

Le lendemain, petite halte à Saint Pol de Léon dont la cathédrale (jolie) contient des boîtes à crânes (meh ?), témoins de pratiques funéraires anciennes.

Elle contient aussi des marques laissées par les tailleurs de pierre lors de sa construction, bien évidemment il faut jouer à les repérer (on a été assez médiocres).

Et last but not least, elle promeut une appli pas piquée des hannetons. La Quête qui, comme son nom l’indique, ne permet plus d’articuler sans voix « j’ai pu d’monnaie, désolée » lorsque circule le panier en fin de messe.

En fin de matinée, nous visitons Roscoff sous la pluie et le vent (ça faisait longtemps). Le vent ride la surface de l’eau, donnant l’impression d’ondes sombres qui courent à la surface dans plusieurs directions. À tous les coups, ce sont les esprits des Johnnies, les marchands d’oignons qui, à partir de la moitié du XIXe siècle, quittaient Roscoff dans le courant de l’été pour vendre leurs marchandises en Grande Bretagne.

Détentrice du label Petite cité de caractère (+ 1000 points de choupitude), Roscoff peut s’enorgueillir – et ne s’en prive pas – d’avoir accueilli la jeune Marie Stuart, reine d’Écosse en route vers son promis François II, roi de France.

Après avoir visité sa jolie petite église et arpenté son estacade sous un vent dantesque et une pluie battante, nous nous réfugions dans la voiture garée face au port pour un pique-nique improvisé et une session de rédaction de cartes postales, l’encre diluée par la pluie (ou les larmes de seum).

Morgat / Locronan

L’après-midi, nous faisons route vers la presqu’île de Crozon. Nous faisons halte à Morgat, ancien village de pêcheurs doté d’un joli port, et point de départ d’un autre morceau du GR plus sauvage, mais nous ne sommes pas équipés pour.

Route ensuite vers Locronan où se trouve notre dernier hôtel. Ce n’est pas sans appréhension que nous approchons… mais waow ! C’est grand, c’est propre, c’est lumineux, et notre arrivée tardive (et la flemme) nous conduisent à manger au resto de l’hôtel : hyper bon, plein de produits locaux et de saison, et le petit déj du lendemain est dans la même lignée !

Nous profitons d’un rayon de soleil matinal pour nous balader dans Locronan. Doté du label Petite cité de caractère mais également inscrit à la liste des Plus beaux villages de France, ce petit village aux bâtiments de granit n’usurpe pas sa réputation.

L’heure du retour a sonné, et si nous loupons le coche pour la visite des alignements de Carnac – sur réservation uniquement pendant l’été, mince – nous faisons une dernière halte à Concarneau. Assez semblable à Saint Malo, la vieille ville est ceinte de remparts du haut desquels quelles flèches bien envoyées, woosh, woosh, envoient ad patres les assaillants.

Mission accomplie, après 2500 kilomètres effectués et 14 départements traversés, notre périple breton s’achève ici…

Sous un soleil éclatant.

Le détail qui aurait dû nous mettre la puce à l’oreille

Il y a beaucoup d’éoliennes en Bretagne.

Mais genre vraiment beaucoup.

Bon, on a rapidement compris pourquoi.

Le jeu de l’été

Après le jeu de la doudoune à Saint Pétersbourg et celui du t-shirt Levis à Naples, le jeu de l’été a consisté à repérer discrètement la marque du it-ciré arboré par tous les touristes (c’est facile : ils sont en marinière et en ciré jaune).

Alors pour info, la marque, c’est Hublot, et ça vient du Tarn !

L’urgence

La Bretagne semble receler de nombreux déserts médicaux : plusieurs des villages que nous avons traversés affichent banderoles et pancartes pour recruter des médecins.

Le regret absolu

Pas faute d’avoir scruté la mer et les rochers : impossible d’apercevoir le moindre phoque.

Ni le moindre globicéphale, mais c’est moins grave.

La playlist du voyage